[Exposition] Plus près de Vermeer au Rijksmuseum

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Exposition Vermeer
10 février – 4 juin 2023
Rijksmuseum (Amsterdam)

Après Washington en 1995, La Haye en 1996, New York et Londres en 2001, et Paris en 2017, le Rijksmuseum d’Amsterdam célèbre l’art de Johannes Vermeer (1632-1675).
Au cours des huit dernières années, les conservateurs du Rijksmuseum et de la Frick Collection (New York) ont coopéré afin d’exposer pour la première fois en dehors de New York les trois peintures de la collection de l’industriel Henry Clay Frick.

L’œuvre de Vermeer est réduite. Sur les 37 peintures environ qui lui sont attribuées, 27 ont été rassemblées à Amsterdam. Les œuvres sont principalement exposées de manière thématique.

La vente des billets en ligne a été arrêtée et l’exposition est complète depuis le début du mois de mars. Même si le nombre de visiteurs est important, il est possible – selon ma propre expérience et en étant patient ! – d’avoir un temps pour se poser et admirer chaque tableau. Alors, suivez-moi pour une visite en images de l’exposition « comme si vous y étiez ».

« Du maître du XVIIe siècle, on ne possède ni lettres ni journaux, et même son portrait n’est pas connu avec certitude. La préparation de l’exposition a toutefois donné lieu à des recherches approfondies sur le peintre de Delft, qui ont livré de nouvelles connaissances sur des suiets comme sa position sociale, son ménage et l’influence de son entourage sur son travail. » – Taco Dibbits, directeur en chef du Riiksmuseum

Plus près de Vermeer

Johannes Vermeer passe toute sa vie à Delft (1632-1675). Il y grandit parmi les peintures du commerce d’art de son père et reçoit une éducation protestante. Lors de son mariage avec Catharina Bolnes, il est intégré dans une famille catholique. Le couple aura quatorze ou quinze enfants, dont onze dépasseront le bas âge. En plus d’être peintre, Vermeer est aussi marchand d’art et syndic de la guilde d’artistes Sint-Lucas.

« Johannes Vermeer (1632-1675) fut un artiste peu prodigue, qui n’a sans doute pas peint plus de deux œuvres par an en moyenne. Mais chacune d’elles est une création exceptionnelle qui fascine et qui étonne. Le peintre emmène le spectateur dans un monde introverti, figé. Dans ses intérieurs, la lumière joue un rôle inimitable, et l’emploi des couleurs ne cesse de surprendre. Vermeer compose ses peintures, choisit ses sujets et modifie les espaces, au point d’atteindre une forme d’illusionnisme en raison duquel, plus de 350 ans plus tard, son univers pictural est toujours perçu comme reconnaissable et familier. » – Taco Dibbits, directeur en chef du Riiksmuseum

En ville

Pour autant que nous sachions, Vermeer a peint trois fois sa ville natale. Dans son monde, le calme règne et le temps semble arrêté.
Dans la « Vue de Delft », il ne représente pas en évidence et en détail les principaux monuments de la ville, mais envisage la ville sous un angle inattendu, non sans se permettre au passage quelques libertés par rapport à la réalité topographique. Dans le lointain, on aperçoit la Nouvelle Église, dont le clocher, peint à l’aide d’une épaisse couche de couleur blanc-jaunâtre, capte la lumière matinale. Légèrement à gauche du centre, l’horloge de la porte de Schiedam affiche plus ou moins 7 heures.

À l’aide du clair-obscur, de la perspective, de la couleur et de la texture, il conduit notre œil dans la profondeur du champ. Il le fait notamment dans « La Ruelle » : les maisons sombres situées à l’arrière se détachent sur un ciel clair. Les figures, comme la femme visible dans le passage et les enfants jouant sur le trottoir, contribuent à créer l’illusion d’espace.

Ambitions précoces

Ces quatre grandes peintures sont les premières que nous connaissions de Vermeer. Il a alors une bonne vingtaine d’années et vient juste de s’établir comme maître peintre. Et il a épousé Catharina Bolnes, une catholique, alors qu’il appartient à une famille protestante.

Vermeer s’attaque à d’ambitieux thèmes religieux : « Sainte Praxède » et une scène biblique montrant Le Christ chez Marie et Marthe.

Dans « Le Christ dans la maison de Marthe et Marie », Vermeer représente Jésus rendant visite aux deux sœurs. Marthe entreprend de le servir tandis que Marie s’assied à ses pieds pour l’écouter. Marthe se plaint alors de devoir se charger seule de tout le travail. Mais Jésus déclare que Marie a fait le bon choix : le spirituel passe avant le matériel.
La main expressive de Jésus-Christ, mise en valeur par la nappe blanche, correspond au centre exact du tableau. C’est une façon pour Vermeer de souligner que les paroles du Christ sont le cœur du récit.

Vermeer s’aventure aussi à réaliser une scène mythologique, intitulée « Diane et ses nymphes ».
Le jeune artiste veut manifestement se profiler à l’échelle internationale et maîtriser ce qui est alors considéré comme le degré le plus élevé de l’art pictural : la représentation de grands épisodes historiques.

« L’Entremetteuse » marque un revirement. Dans cette toile de 1656, il conjugue toutes les influences internationales dans une scène de bordel. À partir de là, Vermeer choisit la vie quotidienne comme point de départ de son travail.

Premiers intérieurs

Dans « La Liseuse à la fenêtre », Vermeer ne montre pas grand-chose de la pièce, mais crée de la profondeur au moyen d’un mur percé perpendiculaire à celui du fond du côté gauche. Il prend la vie quotidienne comme point de départ.
Un rideau rouge tombe devant la fenêtre où le visage de la jeune fille se reflète. Pour la première fois, Vermeer utilise des points et des taches de couleur. Ainsi, les cheveux sont faits d’une constellation de points lumineux de différentes couleurs.
Le rideau vert semble pendre devant la toile. Tiré sur le côté, il dévoile la jeune femme à la lecture et la grande peinture accrochée derrière elle. Celle-ci représente Cupidon, dieu de l’amour, qui nous regarde. Jusqu’en 2019, Cupidon est resté caché sous de la couleur blanche. Lors d’une récente restauration, il est apparu que ce n’était pas Vermeer qui l’avait recouvert, mais un autre, intervenu plus tard.

Dans « La Laitière », nous regardons la jeune femme légèrement d’en bas. Sa monumentalité est renforcée par le mur blanc derrière elle, dont elle se détache avec netteté. Pour obtenir cet effet, Vermeer a surpeint une étagère supportant des cruches qu’il avait d’abord placée à hauteur de sa tête. En bas à droite, Vermeer a également recouvert un grand panier à feu, qu’il a remplacé par des carreaux bleus de Delft et un chauffe-pieds.
Étant donné les nombreux restes de pain visibles sur la table, il est possible que la jeune femme soit en train de préparer un pudding avec du pain rassis trempé dans du lait.
L’espace est modelé par la lumière, qui joue et se reflète sur tous les objets. Le pain et sa corbeille se composent de centaines de points lumineux. Le geste de la laitière est simple et concentré et seul le filet de lait semble bouger.

Un regard vers l’extérieur

Les scènes de Vermeer sont figées et recueillies, presque coupées du monde extérieur. Mais pas complètement. Vermeer laisse entrer celui-ci par les fenêtres ou indique sa présence à travers un personnage qui regarde dehors.

Dans « L’Officier et la jeune femme riant », le jeune visiteur n’a pas encore ôté son grand chapeau en fourrure de castor. La carte de Hollande et de Frise occidentale accrochée au mur laisse entrer le monde extérieur dans la pièce fermée, de même que la fenêtre ouverte.
Vermeer confère de l’intimité à la scène par sa maîtrise parfaite de la perspective: l’homme est proche du spectateur, il est nettement plus que grand que la femme. L’artiste pourrait avoir étudié cet effet avec un instrument optique appelé « camera obscura ». Il s’agissait d’une chambre ou d’une boîte noire percée d’un trou, plus tard équipée d’une lentille, dans laquelle l’image des objets situés en dehors était projetée sur le mur ou la paroi opposé.

Dans la « Joueuse de luth », la jeune femme accorde son instrument tout en regardant par la fenêtre.

Dans « Dame écrivant une lettre et sa servante », le rideau vert tiré à gauche laisse voir l’intérieur de la pièce, alors que la servante debout près de la tenture blanche regarde justement dehors. L’intimité de la chambre devient tangible au moment précis où le bruit de la rue semble y résonner.

De tout près

Entre 1664 et 1667, Vermeer réalise une petite série de peintures montrant des femmes qui nous regardent droit dans les yeux et de très près. Leur regard sort du champ de la représentation pour entrer dans notre monde. Ce ne sont pas des portraits, bien que l’artiste ait certainement utilisé des études réalisées d’après modèle vivant.

Des œuvres expérimentales comme « La Jeune Femme à la flûte » et « La Jeune Femme au chapeau rouge » annoncent notamment « La Jeune Femme à la perle ».

Une autre façon de s’approcher au plus près consiste à réduire la distance par rapport à la figure comme Vermeer le fait dans « La Dentellière ». Nous approchons même de si près que nous pouvons voir les fils entre ses doigts.
Contrairement à la plupart des autres peintures de Vermeer, « La Jeune Femme à la flûte », « La Dentellière » et « La Jeune Femme au chapeau rouge » sont éclairées par la droite.

Séduction musicale

Dans cette série de tableaux, ces femmes dirigent leur regard vers nous, comme si elles avaient été dérangées pendant leur séance de musique. Cette dernière joue un grand rôle dans ces toiles ainsi que dans bien d’autres de Vermeer. Les femmes jouent de la guitare, du clavecin ou du virginal (un instrument à clavier). Et sur beaucoup de toiles, une viole de gambe (sorte de contrebasse ou de violoncelle) est dressée ou couchée à terre, comme dans « La Jeune femme assise au virginal ».

Dans ce tableau, le mur du fond est décoré d’une peinture existante de Dirck van Baburen sur laquelle on voit une prostituée sourire à un homme tandis qu’elle joue du luth. li lui tend une pièce. La peinture du fond ajoute une signification à la représentation de Vermeer. Il en va de même dans la peinture visible sur le mur du fond de « La Jeune femme debout au virginal », où réapparaît Cupidon, déjà présent sur « La Liseuse à la fenêtre ».

Regard vers l’intérieur

Outre des peintures où une seule figure est vue de près, Vermeer développe une nouvelle formule réunissant deux ou trois figures dans des scènes d’intérieur plus grandes.

Dans « La Lettre d’amour », il prend ses distances par rapport aux deux femmes qu’il observe – et nous à sa suite – depuis une pièce contiguë. Les compositions fermées de Vermeer font de nous des spectateurs secrets.

La maîtresse des lieux a interrompu sa séance de cistre (un petit luth) parce que sa servante est venue lui remettre une missive. La marine accrochée au mur le suggère qu’il pourrait s’agir d’une lettre d’amour. En effet, l’amour est souvent comparé à la mer et l’amoureux à un navire – l’une est calme ou fougueuse, l’autre solide ou menacé.

Messages du monde extérieur

Les lettres sont un sujet récurrent dans l’œuvre de Vermeer. Celui-ci réalise d’abord trois toiles montrant une seule figure occupée à lire ou à écrire, plus tard, trois autres, où la figure est accompagnée d’une servante. Vermeer peint toujours de jeunes femmes de la classe aisée qui entretiennent le contact avec le monde extérieur par l’entremise du courrier. Pour les amoureux, les lettres représentaient un moyen idéal de se faire la cour. Il existait même des manuels qui enseignaient les plus belles formules.
Encore vêtue de son élégante liseuse, « La Femme en bleu lisant une lettre » se remémore une personne absente en s’empreignant de ses paroles.
Les servantes pouvaient sans éveiller les soupçons remettre des lettres dans toute la ville, ce qui, pour les jeunes femmes elles-mêmes, était inconvenant.

Dans « La Maîtresse et la servante », une femme est surprise à sa table d’écriture par sa servante qui lui apporte un courrier. Le monde entre dans la pièce comme il le fait dans d’autres peintures par les fenêtres ou les portes.

Dans « Une dame écrivant », le regard de la jeune femme est dirigé en dehors du tableau. Tout comme la lettre, il relie intérieur et extérieur.
Vermeer montre ici une dame à la pointe de la mode. La fourrure d’hermine n’étant même pas portée par les riches bourgeois, il s’agit peut-être de fourrure de lapin sur laquelle on a peint des points.
Le coffret posé sur la table, dans lequel on pouvait conserver des bijoux, des lettres ou d’autres effets précieux, semble provenir de la région de Goa (Inde). Comme la carte géographique de la Femme en bleu lisant une lettre, il fait allusion au monde extérieur en tant que témoin tangible d’une lointaine contrée.

Visiteurs masculins

Ces peintures des environs de 1660 ont beaucoup en commun. De jeunes femmes vêtues à la mode jouent de la musique – ou viennent juste de s’interrompre – et boivent du vin. Avec leur beau manteau sur les épaules, les hommes ont l’air d’être arrivés peu auparavant. Nous voyons des partitions et un cistre, car l’amour est souvent associé avec le fait de chanter et de jouer de la musique ensemble.
Les lignes de perspective des tables, des chaises et des fenêtres placées à gauche créent une illusion spatiale convaincante. Vermeer place les figures au premier plan pour que nous puissions les approcher de près. Il crée ainsi un fort sentiment d’intimité entre la scène et le spectateur.

Dans « Le Verre de vin », l’homme porte un manteau en mohair, un précieux velours fait de laine de chèvre angora. Un manteau de ce type est également visible sur « La Leçon de musique interrompue ».
L’homme tient en main une cruche blanche qui constitue le cœur de la représentation. Sa manchette, également blanche, auréole délicatement l’objet.

Un regard sur le monde

« Le Géographe » est l’une des rares œuvres dans lesquelles Vermeer donne le rôle principal à un homme. Le globe terrestre du savant est posé sur l’armoire en compagnie de quelques livres. Un compas à la main, il étudie des cartes géographiques étalées sur sa table. Mais son regard se perd dans le lointain.
La lumière du soleil tombe directement sur les documents et le front du géographe, sans l’entremise d’un instrument scientifique. Vermeer met ainsi l’accent sur l’intérêt intellectuel pour le monde.

Réfléchir à la vanité et à la foi

Vers 1662-1664, Vermeer peint un petit ensemble d’œuvres dans lesquelles une femme seule est assise à une table garnie de différents objets. Elle est représentée pendant un moment figé et méditatif.
Dans « La Femme au collier de perles », elle est en train de se faire belle. À l’époque de Vermeer, cette coquetterie est jugée négativement, considérée comme « mondaine », vaine et centrée sur l’apparence.

Dans « La Femme à la balance », le modèle se tient debout devant une table où sont posés des bijoux précieux. La fine balance sert à estimer leur valeur. Au second plan, une peinture représente « Le Jugement dernier, » rappelant que l’âme aussi sera un jour pesée et jugée.

Dans son « Allégorie de la foi catholique », Vermeer utilise une série de symboles que le spectateur est invité à observer attentivement. La figure principale, la « foi », triomphe du matériel, du vain et de l’éphémère en posant le pied sur un globe terrestre. Elle regarde intensément une sphère de verre. En raison de son reflet, celle-ci peut, comme la foi, »contenir plus que ce qu’elle peut réellement contenir étant donné son format ». Vermeer utilise là une image propre aux jésuites, ordre religieux catholique notamment établi près de chez lui.

Un 28ème tableau

« La Jeune Femme à la perle » a été prêtée par le Mauritshuis (La Haye) du 10 février au 31 mars. À partir du 1er avril, il fallait se rendre dans la capitale des Pays-Bas pour pouvoir l’admirer.

« Les peintures de Vermeer laissent une impression indélébile. L’approche intimiste de son travail a pour effet d’arrêter le temps sur un monde qui attire et captive. » – Taco Dibbits, directeur en chef du Riiksmuseum

Sources

  • Textes : site Internet du Rijksmuseum et catalogue de l’exposition
  • Photos : @scribeaccroupi

Exposition Vermeer
10 février – 4 juin 2023
Rijksmuseum (Amsterdam)

 

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